Après les flammes du cafouillage, les auteurs étouffent la fumée… L’entre-les-lignes d’un rapport aux braises ardentes
L’ANC, Alliance Nationale pour le Changement, principal parti de l’opposition togolaise et le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique basé à Paris réclament, l’un à travers un communiqué et l’autre par un courrier au Quai d’Orsay, la publication du rapport des experts français. Ayant sommairement pris connaissance
du contenu du rapport, Tribune d’Afrique livre ses conclusions et revient sur l’embarras du président togolais.
Depuis plusieurs mois, la société civile, la presse locale et les partis politiques togolais exigent la publication du rapport fourni par les deux Français. Venus aussitôt après les incendies, ils ont travaillé du 19 au 26 janvier sur les sites incendiés, à la demande du gouvernement togolais. Les experts français ont séjourné plusieurs jours dans le pays avant de quitter Lomé. Ils ont rendu leur rapport à la section Afrique du ministère des affaires étrangères fin février. Ils l’ont rendu début mars, entre le 3 et le 5, après un compte rendu précis sur leur mission, envoyé au Quai d’Orsay autour du 17 février 2013. Copie a été faite le lendemain
à Nicolas Warnery, ambassadeur français à Lomé qui en a discuté le 11 mars avec Faure
Gnassingbé avant que le 14 mars, le rapport n’atterrisse sur la table du président togolais. Il en a pris une connaissance rapide et depuis, plus rien. Le rapport n’ayant pas d’emblée confirmé les inventions des enquêteurs locaux, togolais, sur cette affaire, il a été classé
dans le secret, parce qu’il fallait trouver une solution palliative, d’où l’idée d’un mystérieux Shlomo Maor dont le rapport tombé du ciel, met un peu de l’eau dans le vin. Ce qui, sans blanchir les vrais coupables qui ont jeté en prison une chaine d’innocents permet au moins d’arriver à la rapide et active conclusion du procureur de la république selon qui, avec l’appui du rapport Maor, "il y a lieu de faire observer que ces rapports sur l'origine et les causes des incendies survenus dans notre pays courant mois de janvier 2013, confortent la procédure en cours qui a retenu pour qualifications principales les destructions volontaires par incendie ou explosifs". A Paris, auprès du Quai d’Orsay, mais aussi entre l’ambassade de France à Lomé et celle d’Israël près le Togo, Tribune d’Afrique a fait son enquête. Avec sa principale source au Quai d’Orsay, il prend connaissance des grandes lignes du rapport des français et tente quelques explications risquées.
Shlomo Maor, le fantôme qui s’invite dans le feu…
L’arrivée des experts français a été annoncée par un communiqué sans ambiguïté de l’ambassade de France à Lomé. Lequel communiqué donne même quelques informations sur leur identité. Hervé Bazin est ingénieur. Chef section de feu au pôle des mesures physiques
et des sciences de l’incendie du laboratoire central de la préfecture de Police, il est expert
près la Cour d’Appel de Paris. Sa compétence est sans aucun doute. Il a travaillé sur une multitude d’incendies tous azimuts en France et est régulièrement sollicité par la police. Son acolyte, François Deblasi est responsable de la cellule d’investigation de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris. Il a l’expérience du feu avec lequel il frotte depuis un quart de siècle. Des flammes, il connait tout secret ou presque. L’expert Shlomo Maor, qui selon nos investigations auprès de l’ambassade d’Israël n’a pas été officiellement envoyé par son pays
est un fantôme qui s’invite dans le feu. Et entre les deux experts français, il esquisse ses conclusions calculées, en "juif" bien malin. Allons au sérieux. Cet expert n’a existé qu’au dernier moment du processus. Cité pour la première fois par le procureur de la République Essolissam Poyodi, le 24 avril 2013, il n’est connu de personne. Ni l’ambassade de France qui s’est occupée de l’arrivée de la délégation française d’experts, ni mêmes les nombreux accusés dont certains croupissent encore dans les prisons de Lomé n’ont eu, à aucun moment, connaissance de son existence. Quand Tribune d’Afrique a contacté la représentation de l’Etat hébreux à Abidjan (la même
ambassade dessert Lomé), la réponse du service de coopération est attendue, "nous ne fournissons pas à la presse de pareilles informations". Nous saurions plus tard que d’informations, l’ambassade elle-même n’en avait que peu, sinon pas du tout sur cet aventurier du feu. A Paris, on est plutôt embarrassé. « Quand le rapport de
nos experts est parvenu au gouvernement togolais, Lomé nous a fait cas de cet Israélien qui aurait lui aussi fourni un rapport » précise une source proche de l’enquête au Ministère français des affaires étrangères. A aucun moment, le Togo n’a informé la France d’une
démarche parallèle. Au Quai d’Orsay, on ne comprend pas pourquoi les deux équipes n’ont pas pu travailler ensemble pour "une mise en commun des expertises et de l’efficacité".
Ce à quoi le gouvernement togolais a répondu bien plus tard que " c’est pour disposer de la
contradiction et varier les points de vue".Mais le besoin de la contradiction n’est pas utile pour plusieurs raisons. D’abord il s’agit d‘une expertise. Le meilleur choix aurait été que les contradictions se fassent dans une même équipe et que les conclusions s’affrontent à l’interne
pour fournir à l’opinion des éléments fiables qui ne soient plus sujets à confusion. Ensuite, si le gouvernement togolais a écarté l’idée d’une commission internationale d’enquête, il n’aurait aucun alibi à accepter un enquêteur solitaire et singleton qui, dans l’ombre du secret le plus total fournisse un rapport qui, à plusieurs niveaux, nuance les affirmations des experts français. Enfin, quand on lit les extraits du rapport des experts français dont nous avons pris connaissance, on a l’impression, en écoutant le procureur de la République le 24 avril, que l’Israélien est en mission de contradiction permanente sinon de fines nuances qui multiplient les pistes et sèment du doute sur le travail des français qui a l’air bien "sérieux".
Shlomo Maor a ensuite travaillé tout seul alors que par définition, une commission n’est
pas une oeuvre solitaire et ne peut se constituer d’une seule personne. Le risque de subjectivité est ici très élevé. Cet Israélien serait venu dans le plus grand secret, puisque contrairement aux Français, son arrivée n’a pas été annoncée. Il a été retenu sur proposition des Renseignements Généraux qui ont une bonne coopération depuis de nombreuses années avec tel Aviv pour les écoutes téléphoniques illégales. Dans nos diverses recherches, cet expert n’est connu que du Togo. Aucune de ses expertises précédentes n’ont laissé de traces et le procureur n’a pu fournir aucune information sur son identité à l’exception
d’un nom à connotation bien sûr hébraïque. Jusqu’à ce jour, les experts français n’ont pas reçu copie du rapport de l’israélien et le Quai d’Orsay ne semble pas en savoir plus que ce qu’a dit le procureur. Mystère est doublé d’une opacité, qu’entretient l’Etat togolais qui refuse de publier et le rapport de l’Hébreu et celui des gaulois.
Ce qui ressort du rapport des Français…
C’est dans un café aux invalides que nous reçoit notre Source. Fonctionnaire au ministère français des affaires étrangères depuis une dizaine d’année, il connait bien l’Afrique et fait partir de la demidouzaine de personnes qui ont pris connaissance du rapport des français
avec le ministre Laurent Fabius qui s’est contenté d’en lire un compte rendu succinct. Le Togo n’intéresse pas particulièrement au moment où le gouvernement socialiste est au bas de l’échelle de côte de popularité et que le chômage bat son plein ; conjugué à une crise économique sans répit. Notre première question est de savoir pourquoi la France hésite à publier le rapport ? Réponse sans équivoque, " dans une telle convention, c’est le pays demandeur qui fait du rapport ce qu’il veut et qui décide de le publier ou non", selon le fonctionnaire qui a promisque, " sans l’aval de Lomé, Paris ne publiera jamais ce rapport". Il
s’agit là de principe. Il allume son Ipad et évoque avec nous des aspects troublants dudit rapport. Troublants ? Pas trop puisque les experts ne devraient pas identifier des coupables. Ils se sont attablés à la nature de l’incendie, sa manifestation, la vitesse du feu, les éléments
qui ont favorisé un ravage aussi important. "La lenteur à intervenir pour faire face au feu, l’impréparation et la panique justifient que le feu soit allé aussi loin" évoque notre source. Il faut ajouter que les incendies ont lieu essentiellement la nuit et que les sapeurs-pompiers
togolais ne disposaient de rien ou presque. Même pas d’eau. Les experts ont une certitude quasi absolue, les marchés de Lomé et de Kara seraient incendiés par le même réseau ou les mêmes criminels. Diverses analyses ont permis de savoir que la méthode utilisée est la même, déclencher l’incendie au milieu du marché, à une zone sensible ciblée. Il évoque l’usage de sachets fermés de kérosène, ce qui a nécessité un travail minutieux en amont.
Contrairement à ce qu’on peut penser, le rapport des experts français n’indexent personne et se contente de faire des conclusionsn"plausibles et concluantes à partir d’éléments d’enquête et d’observations scientifiques", selon une diplomate française à Lomé. Le constat est confirmé par notre source au Quai d’Orsay. "Il s’agit d’un travail de scientifique, qui ne
révèle rien de certain". La source pense que ce rapport ne permettra pas de blanchir les personnes arrêtées "mais balaie une grande partie du dossier tel que monté actuellement
par les autorités togolaises". Mais à lire le rapport de près, de "sérieux doutent planent
sur la culpabilité de personnes détenues en ce moment dans l’enquête" selon la même source, " sans innocenter personne". Les Français, qui contrairement au mystérieux Israélien ont travaillé sur d’autres incendies que ceux des grands marchés de Lomé et de Kara ont déploré le fait qu’on ne leur a pas permis d’échanger "librement" avec les personnes supposées impliquées et mises aux arrêts. Ils espéraient qu’une confrontation et même une tentative de reproduction des faits leur permettrait de confirmer certaines réponses. Il leur a été répondu qu’ils ne sont pas chargés de remplacer la justice. Ils regrettent aussi le fait de ne pas avoir accès aux éléments de la scène de crime tels qu’elle était juste après les incendies. "Ils n’ont eu que des photos alors que des prélèvements ont été faits avant leur arrivée". Notre source s’agace d’une "volonté délibérée d’obstruction à une enquête
parfaite". Le rapport fournit par les français donnent quelques précisions dont les plus importantes sont contredites par l’intrusion de l’Israélien. Par rapport au liquide utilisé,
les français évoquent un produit inflammable et précisent qu’il devrait s’agir de kérosène.
L’Israélien lui, veut s’en tenir à l’essence et justifie cela par "des vapeurs de benzène". Cet élément est d’autant plus important que les partisans d’un incendie orchestré par le gouvernement insistent sur le fait que le kérosène à Lomé n’existe que dans les réserves de
l’aéroport international Gnassingbé Eyadema, lequel est tenu par l’administration publique proche du régime et les Forces Armées Togolaises. En jetant le flou par l’éventuel usage de l’essence, les mains autrement puissantes veulent soutenir l’hypothèse selon laquelle le feu pourrait venir du camp de ceux qu’ils accusent, c’est-àdire l’opposition dont plusieurs militantscroupissent en prison. L’un d’entre eux vient même de rendre l’âme dans des conditions suspectes et floues. Si les experts français pensent qu’une même équipe pourrait être à la base des deux incendies et pensent que les pyromanes n’y arriveraient pas sans "une complicité administrative importante", notamment de ceux qui sont chargés de la sécurité des marchés, l’Israélien veut croire à des groupes de criminels crapuleux, histoire d’indexer facilement des gens proches de l’opposition. Les experts français pensent aussiqu’il y a une coordination entre les diverses équipes et n’excluent pas le fait que ce soit l’oeuvre d’une même équipe de "criminels solides et organisée". Cette piste se rapproche de plus en plus de celle supposée d’implication d’agents de force de l’ordre, encore qu’un gendarme surpris par des populations de la ville de Lomé tentant de mettre le feu a disparu de la chaine de l’enquête. Les conditions dans lesquels des marchés d’Adidogomé et de Hédzranawoé, etc. dans la ville de Lomé ont pris feu avant que l’incendie ne soit maitrisé restent mystérieuses alors même que des forces de l’ordre étaient massivement présentes sur les lieux. Les Français ont aussi déploré la difficulté à interroger les premiers témoins. Agents de sécurité,
agents de force de l’ordre, gardiens de marchés, etc., la pression ayant été délibérément mise sur eux pour qu’ils ne témoignent pas. La lecture des fiches qui ont précédé le rapport a permis au parti socialiste français de se faire son idée de la crise et aussitôt de publier un communiqué demandant la libération des personnes arrêtées… la réponse de l’exécutif togolais fut ferme et prompte. C’est la diplomatie des nerfs.
Inquiétudes et supputations
Plusieurs faits ont suscité des inquiétudes sérieuses. D’abord, le fait que malgré la présence
policière aux alentours des principaux marchés, aucune arrestation en fragrant délit n’ait eu lieu. Pire, certains marchés ont été incendiés alors qu’ils avaient été placés, après l’incendie de Kara, sous surveillance policière. Le refus de toute enquête administrative est bien suspect alors qu’à la veille de l’incendie du marché de Lomé, les autorités chargées de sa sécurité ont crié sur les médias publics que "tout est mis en oeuvre pour faire face à un incendie". 24h après, le feu a consumé une partie du marché. L’émergence rapide d’associations fantoches de femmes de grands marchés et la facilité avec laquelle la gestion des dédommagementsa été confiée à cette association provoquent beaucoup de questions sans réponses.
La proposition rapide faite au chef de l’Etat d’un Haut Conseil des Marchés Publics qui aura la gestion et la sécurité de tous les marchés et qui devrait être sous la responsabilité de Mme Ayélégan Madjé Folly Sessi, une proche de Ingrid Awadé, redoutée maitresse du chef de l’Etat qui gère dans une prestigieuse opacité les recettes d’impôts. A la tête de l’Etablissement Public Autonome pourl'exploitation des marchés de Lomé, EPAM, dont la responsabilité évidente dans les incendies et leur gestion a été occultée par le refus d’enquête administrative, Mme Ayélégan Folly Sessi devrait voir ses pouvoirs se renforcer. Nommée par la Directrice des Impôts, cette ancienne fonctionnaire de l’administration fiscale n’a pas été à la hauteur de la situation. Sa structure qui collectionne de l’argent auprès des femmes du grand marché pour une supposée assurance n’a pas été capable de leur garantir le moindre dédommagement venant d’une société d’assurance.
Faure Gnassingbé lui-même a exprimé à ses proches collaborateurs ses doutes sur " la manière dont cette affaire a été gérée". "Le président est la première personne qui a pensé
que les vrais auteurs sont en liberté" avance un conseiller et visiteur du soir, à qui Faure
Gnassingbé a confié, après les dernières déclarations de Mohammed Loum (au début, principal acteur qui affirme n’avoir reconnu les faits que sous pression et torture), "ça commence !". Et son souhait : libérer tout le monde. Mais obstruction a été faite par ceux qui, connaissant les vraies origines, ont contribué à fabriquer des prisonniers. Le président togolais aussi joue sur l’opinion et ne devrait pas vouloir endosser la responsabilité de tels désastres avant les élections municipales et législatives. Alors, il joue le jeu allant dans son discours à la Nation, le 26 avril dernier jusqu’à accuser "des adversaires politiques".Pourra-t-il faire autrement ? Ministre de la sécurité, Directeur général de la gendarmerie, fameux
Capitaine Akakpo de SRI, Service de renseignements et d’Investigations devenu commissariat de police ambulant et arrêtant dans la foulée toute personne qui lui tombe
entre les doigts. Tous en savent plus que le président qui commence à se faire son idée. Comme à chaque coup, il prendra sans doute du temps à réagir, cynisme politique oblige et pendant ce temps, une vingtaine de Togolais sont injustement détenus par la gendarmerie
nationale qui en a fait des "otages de feu". Et des pistes se dessinent. Une chose est de plus en plus certaine, les mains de manipulation sont au régime. Et chaque fois que le gouvernement repousse la publication du rapport, il jette de l’eau à l’huile chaude et amplifie les supputations. « S’ils n’ont rien à s’y reprocher, ils devraient publier le rapport » pense notre source, « un rapport est fait pour être publié, la France ne peut pas le faire à la place du Togo mais pourrait le lui demander ». Dans un récent courrier adressé à François Hollande, Harlem Désir, le patron du Parti socialiste « invite le gouvernement à veiller à la transparence sur cette affaire », une affaire sur laquelle le parti au pouvoir en France avait pris clairement position à travers son communiqué,
"TOGO, DEMOCRATIE BAFOUEE" du 13 février
dernier.
Sonia Ndir CICA