mardi 5 mars 2013

Saint Pierre Yaméogo : « J’ai été censuré par le FESPACO »


Saint Pierre Yaméogo : « J’ai été censuré par le FESPACO »



Lefaso.net : Le FESPACO s’est achevé avec le sacre du cinéaste sénégalais, Alain Gomis. Comment avez-vous vécu cette fête du cinéma ?
Saint Pierre Yaméogo : J’ai vécu le FESPACO avec tristesse. Pas parce que je suis un peu aigri mais je mepose toujours la finalité, le but et le public cible des films que je fais. Puisque je suis exclu à chaque fois que je veux prendre part à la compétition au FESPACO. Si je ne donne pas mes films, des gens trouveront que je suis apatride mais si j’en donne aussi, mes films ne sont jamais retenus. Ce qui me convainc que le FESPACO préfère les cinéastes étrangers aux nationaux. Je m’en veux pour preuve que Adjouma Somé a été membre du jury d’un festival au Maroc. Mon film « Bayiri » concourrait avec « Tey ». Il peut même confirmer que j’ai remporté le 1er prix à ce festival. « Tey » avait eu un prix d’interprétation. Mais je sens que le Burkina ne protège pas assez ses cinéastes. Car si c’était un problème de censure, je pense que le film ne devait pas sortir en salle à plus forte raison être projeté en hors compétition au FESPACO. Le faire est une insulte à un cinéaste qui a fait ses preuves dans le monde. Les organisateurs du FESPACO avaient le droit de le retenir pour la compétition ou ne même pas en tenir compte durant tout le festival. Mais ils ont mis mon film hors compétition sans raison. Le film a moins de deux ans et il n’est pas censuré. S’ils ne veulent pas me défendre parce qu’ils n’aiment pas ma tête, ce n’est pas grave puisqu’un ministre ou un délégué du FESPACO n’a pas à tenir compte de la personnalité de quelqu’un pour le censurer. J’estime que j’ai été censuré et à travers moi, c’est Apolline Traoré qui a été brimée. Parce que le « olala ! Pourquoi Apolline et pas Pierre » des gens a desservi Apolline Traoré. A cause du FESPACO, j’ai perdu. Et je ne comprends pas pourquoi le Burkina qui est la terre d’asile du cinéma et ses cinéastes ne sont pas reconnus. Ce qui est sûr, dans quelques jours, j’irai dans d’autres festivals et je pense que mes talents seront reconnus là bas.
La moisson a été maigre pour le Burkina à cette édition du FESPACO…
Oui. Je considère que le Burkina n’a pas eu ce qu’il mérite si on avait retenu beaucoup d’autres œuvres. Pour dire vrai, le prix de la meilleure interprétation féminine est un prix de compassion. Parce qu’il fallait faire quelque chose pour le Burkina, on a grouillé ce prix pour elle. Sinon elle aurait pu avoir un autre prix. Mais comme il y a eu injustice et que les gens étaient indignés, il ne pouvait que traiter Apolline en deçà de ses compétences. Les festivaliers qui sont venus dans mon espace culturel, se sont indignés du fait que le FESPACO ait rejeté mon film. Ils ont estimé qu’on avait favorisé Apolline à mon détriment. Alors que s’ils m’avaient discrètement demandé de ne pas me présenter au profit d’Apolline, je l’aurais accepté. Mais en agissant, ils nous ont-Apolline et moi-pénalisés. Je me demande bien quel argument ils pourraient avancer pour demander au gouvernement de financer le cinéma burkinabè. Cette situation me fait croire que le FESPACO est un festival à destruction massive du cinéma burkinabè. Je trouve d’ailleurs que le ministre et le délégué général du FESPACO n’ont pas fait leur travail.
Pensez-vous qu’il y ait des raisons politiques qui ont poussé le FESPACO à rejeter votre film ?
Certainement. Sinon je ne peux pas expliquer cela autrement. C’est peut-être ma personne qui ne plait pas mais je m’en préoccupe peu. On ne peut pas plaire à tout le monde. Pourvu qu’on plaise aux gens bien. On ne peut pas parler uniquement en mono, il faudra aussi le faire en stéréo. C’est ainsi qu’on fera avancer les choses. On nous pousse à parler comme des aigris. Fort heureusement que je n’en suis pas un. Je parle juste dans l’espoir de voir les choses s’améliorer. Mais j’ai honte pour le Burkina. Même Oumar Dagnon, jeune réalisateur burkinabè, dont le film documentaire a été primé à l’étranger n’a pas été retenu. Je ne sais plus quel cinéma, ils veulent promouvoir.
Quels sont les risques pour un film comme « Moi Zaphira » qui a fait une première grande sortie infructueuse au FESPACO ?
Le FESPACO est un festival de films de 2e main. Aucun cinéaste africain ne prendrait le risque de présenter son film en grande première mondiale au FESPACO. Parce que si le film échoue au FESPACO, c’est aussi fini pour la suite. Quand bien même vous remportez l’Etalon d’or, sa valeur intrinsèque est la somme de 10 millions de francs CFA qu’Alain Gomis a obtenue. Mais les lauréats dans les autres festivals sont connus et leurs œuvres sont recherchées à travers le monde. Lorsque je rencontrerai les gagnants au FESPACO dans d’autres festivals, je suis sûr de leur mettre la poussière. C’est donc un risque de présenter son film en grande première mondiale au Burkina. Les cinéastes le savent maintenant. Les réalisateurs se battaient avant pour le faire. Mais seulement après le FESPACO, personne n’en voulait. Même un cinéaste burkinabè avait son film fini mais il ne l’a pas amené au FESPACO. Il a dû inventer des raisons pour s’esquiver. Il connait aussi les risques.
Quel est le problème spécifique du FESPACO dans ce domaine ?
Les réalisateurs des autres pays pourraient peut-être prendre ce risque. Mais les Burkinabè ne le voudront pas. Parce que les autorités ne soutiennent pas les cinéastes. Les autres savent que le FESPACO est aussi un lobbying. Au point que les prix spéciaux s’achètent. Ce ne sont pas des prix qui ont de l’importance. On m’en a déjà proposé une fois. Mais ce n’est pas mon genre et j’ai refusé. Je vais taire les noms de ces personnes mais je dirai les noms au moment venu. Mais je ne crois pas que le jury de cette année ait été influencé par qui que ce soit. En parlant de la vente des prix spéciaux, je me rappelle qu’une fois j’ai démissionné d’un jury que je présidais lors d’un festival en Egypte parce que la consigne était qu’il fallait octroyer les prix bien payés aux cinéastes égyptiens et ceux qui étaient constitués seulement du trophée aux étrangers. J’ai claqué la porte sans même leur dire au revoir. Mais au Burkina, les gens font totalement le contraire. Et j’ignore si c’est parce qu’ils sont tous des cinéastes et qu’ils n’arrivent pas à produire qu’ils se comportent ou quoi.
« Tey » a remporté l’Etalon d’or de Yennega. Etes-vous d’accord avec le choix du jury ?
C’est le jury qui décide. Mais si tous les films capables de remporter l’Etalon d’or avaient été retenus, je suis sûr qu’il n’aurait pas eu ce prix. Ou même s’il l’avait eu, il aurait été content. Mais là, je ne suis même pas sûr qu’il soit content que des films qui l’avaient battu dans d’autres festivals soient rejetés pour qu’il gagne. Je suis sûr d’une chose, si « Bayiri » n’avait pas été rejeté, je ne sortirais pas bredouille.
Le jury a justifié sa décision par l’originalité du sujet…
Il est clair que le sujet est très original. Mais le traitement n’a pas été bien fait. C’est la raison pour laquelle les cinéphiles n’ont pas compris le film. En tant que professionnels, nous n’avons pas approuvé ce film. Lorsque nous l’avons vu à un autre festival, nous n’avons aimé le film et nous le lui avons dit. Pour le FESPACO, ce n’est pas le film qui devait être primé. Il pouvait avoir d’autres prix mais pas l’Etalon d’or de Yennega. Parce que les Africains ont besoin de films qu’ils comprennent. Alain Gomis est un petit frère, très poli et pour qui j’ai beaucoup de respect. J’ai eu l’occasion de lui dire que le sujet est très original pour être traité de cette façon. Je lui souhaite, du reste, bon courage pour la suite.
Des spécialistes avaient pourtant prédit pour « La Pirogue » ou « Les chevaux de Dieu »…
Parce que ce sont des films qu’on comprend facilement. « La Pirogue » est très didactique, « Les chevaux de Dieu » est très compliqué mais très actuel. Et je ne m’explique pas qu’il soit sorti bredouille à ce FESPACO. Mais c’est le Jury qui décide.
Croyez-vous que le FESPACO pourra avoir un jour le niveau du festival de Cannes ?
Jamais ! Parce qu’à Cannes, on vend des films. Un prix à Cannes te donne accès à des distributeurs. En cela, il y a un bilan des ventes qui est établi chaque année. Il n’y a aucun bilan d’acheteurs ou de distributeurs parce qu’ils ne viennent pas. Le FESPACO est un festival politique. J’ai vu un ministre, parce qu’il devait aller remettre un prix et qu’il a été refoulé par le protocole, est venu s’asseoir dans mon espace ici.                                                                                                                                                                                                       Je disais donc qu’un prix à Cannes rapportait beaucoup plus que le FESPACO. Et c’est mieux organisé là bas.
Un ministre de quel pays ?
Ce qui est sûr, il n’est pas Burkinabè et je veux bien taire le nom de son pays.
Que faut-il faire concrètement ?
Que les politiques nous laissent organiser le FESPACO. Lorsque les hommes politiques seront là, le protocole ne peut que dégager les gens pour leur laisser la place. Cela nous empêche de travailler. Si les politiques veulent s’occuper, ils ont le 11 décembre (la fête nationale du Burkina), les différentes soirées gala qui ont lieu presque toutes les semaines. Ils ne peuvent pas tout avoir. Ils n’en ont d’ailleurs pas le droit.
Jacques Théodore Balima








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire